LA RÉVOUTION ÉGYPTIENNE EST-ELLE UNE RÉVOLUTION ?
 
C’est le mot révolution qui est employé par les mass media pour qualifier les événements qui se sont déroulés en Egypte du 25 janvier 2011 jusqu’au 11 février mettant fin à 30 ans de règne de Hosni Moubarak. Bien qu’il soit un peu prématuré pour juger de la portée des événements que vient de vivre l’Egypte, il n’est pas inintéressant de s’appuyer sur certains éléments qui se dégagent de ce mouvement de contestation de grande ampleur, pour dresser un premier bilan provisoire, loin de tout sentimentalisme, de ce que les medias appellent la révolution égyptienne.
 
Avant de s’interroger sur l’avenir du mouvement social en Egypte, la première question qui revient à l’esprit est de savoir comment analyser les événements qui viennent de secouer ce pays du Moyen-Orient peuple de plus de quatre-vingts d’habitants. À bien des égards, ce qui s’est passé en Egypte pendant 18 jours ressemble par certains aspects à une révolution au sens propre et figuré du terme et elle renferme les ingrédients de base des grandes révolutions du passé, Révolution française, révolutions de 1848 ou « printemps des peuples », Révolution bolchevique de 1917, révolution chinoise, révolution cubaine etc., notamment le soulèvement du peuple contre un régime et un gouvernement rendus responsables de ses malheurs. Aujourd’hui, avec le recul historique nécessaire, il devient désormais possible d’élaborer une théorie et une sociologie des révolutions et d’établir leurs traits saillants.  
 
La première caractéristique d’une révolution est la rareté de son occurrence, car faire une révolution est plus difficile que de découvrir un nouveau continent ou une nouvelle planète du fait de la longue durée d’incubation requise pour la maturation des conditions et l’exacerbation des contradictions de classe qui sont nécessaires à son déclenchement. S’il est difficile pour ne pas dire impossible comme pour les tremblements de terre de prévoir l’heure et le lieu exacts du déclenchement d’une révolution, il est cependant possible de détecter ses prémisses et ses signes avant-coureurs. Grâce à leurs deux outils épistémologiques et méthodologiques, le matérialisme dialectique, le matérialisme historique et notamment la loi régissant l’histoire des sociétés humaines, celle de la lutte de classe, les marxistes sont comme les sismographes bien placés pour détecter les prémisses d’une révolution. Par exemple, dans un article publié sur le site « in défense of marxism » en date du 7 avril 2008 par Jean Duval et Fred Weston sous le titre « Egyptian April 6- adress rehearsal for bigger events in the future », ces deux auteurs annoncent déjà, grâce à leur approche marxiste des événements, le soulèvement du mouvement du 25 janvier 2011 des masses égyptiennes qui allaient mettre fin à 30 ans de régime despotique.
 
La deuxième caractéristique d’une révolution est qu’elle est régie par de lois semblables aux lois de la physique, à la loi galiléenne de l’inertie et de la loi newtonienne de la gravitation universelle. Cela veut dire qu’une révolution est un gigantesque champ de forces d’attraction et de répulsion, un immense champ de bataille entre des forces, c’est-à-dire des classes sociales en lutte les unes contre les autres, entre d’une part une classe exploiteuse qui s’accroche désespérément à son système économique et social et aux appareils répressifs et idéologiques pour pérenniser les rapports de domination et d’exploitation et d’autre part les classes exploitées qui cherchent coûte que coûte à détruire un ordre social qui les opprime et qui les exploite.
 
Si l’on tente une évaluation rapide des événements qui ont secoué l’Egypte du 25 janvier 2011 au 11 février 2011, on peut dire qu’en l’espèce nous n’avons pas affaire à une révolution proprement dite mais à une situation pré-révolutionnaire, car le départ de Moubarak n’a nullement entraîné le démantèlement de son système et les acteurs et les institutions de son ancien régime sont toujours là et il n’y a rien qui prouve pour le moment et même pour un avenir très proche que la bourgeoisie compradore égyptienne et les classes moyennes dépendantes de leurs maîtres en Europe, aux Etats-Unis et en Israël soient prêtes à lâcher de sitôt le morceau. Il n’y a donc pour l’instant aucun signe tangible qui montre qu’il existe une réelle cassure au sein de la société égyptienne, entre les forces sociales du 25 janvier 2011, la bourgeoisie autochtone et l’institution militaire, dont Moubarak est issu et qui fait partie intégrante de son régime. Pour briser l’échine dorsale d’une classe dominante, il faut au préalable réduire à néant ou du moins créér de la division au sein des appareils repressifs, militaire et policier de la bourgeoisie comme ce fut le cas durant la révolution bolchevique. Comment peut-on parler de révolution en Egypte avec une institution militaire qui est toujours acquise à l’ancien régime et qui apparaît aujourd’hui comme le seul maître du pays ?
 
Pour juger en toute objectivité et loin de tout sentimentalisme, des événements qui viennent de se produire dans ce pays du Moyen Orient, on peut dire que l’Egypte est certes entrée dans une période pré-révolutionnaire mais et pour que l’on puisse parler franchement de révolution égyptienne au sens propre et figuré du terme, il faut bien se remémorer cette fameuse formule de Lénine, pour qui une révolution triomphe, le jour où « ceux d’en bas » ne veulent plus et « ceux d’en haut » ne peuvent plus vivre à l’ancienne manière ». Ce qui n’est nullement le cas aujourd’hui en Egypte, car les manifestants de la place Tahrir qui ont chassé Moubarak du pouvoir ne sont pas des forces politiques proprement dites rassemblant des individus mécontents qui sont d’accord pour l’instant sur un seul objectif, chasser Moubarak du pouvoir. Un mouvement révolutionnaire ne soit nullement de contenter de chasser des tyrans et des despotes du pouvoir mais proposer une alternative politique crédible susceptible de soulever les masses comme un seul homme non pas pour remplacer un régime par un autre mais abattre et déraciner un système tout entier. Or, ces forces et ces mouvements politiques susceptibles pousser un peu plus loin leurs revendications n’existent pas aujourd’hui en Egypte. Ceux qui ont chassé Moubarak du pouvoir n’ont pas de solution politique alternative à part ressasser les vieilleries importées des Etats capitalistes occidentaux(démocratie, liberté d’expression, multipartisme). Pour situer grosso modo le niveau du cycle révolutionnaire de la révolution égyptienne, on peut dire que ceux qui ont renversé le régime Moubarak n’ont même pas encore atteint le stade du kerenskisme et du menchékisme de la révolution russe. A titre de rappel historique, la révolution bolchevique a mis 12 ans pour triompher et la révolution chinoise 22 ans. C’est dire le long chemin à parcourir par les révolutionnaires égyptiens pour parachever leur œuvre et leur travail. Depuis le 11 février 2011, un cycle révolutionnaire s’est enclenché en Egypte, il s’agit maintenant de suivre assidûment la suite des événements pour observer de plus près les autres cycles de la révolution égyptienne.
 
FAOUZI ELMIR
 
Mots-clés : Egypte, révolution.    



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